L’Assemblée Nationale a désigné une commission chargée de travailler sur ces effets. Le rapport de celle-ci a été remis le 11 septembre 2025. Le rapport proprement fait 324 pages, il compte un tome 2 de 1000 pages environ retraçant les audiences. Ce rapport a fait l’objet d’un article dans le journal Le Monde du vendredi 12 septembre1 . Voici un résumé des principaux éléments de ce rapport.
Le constat
Chez les 11-17 ans, 4h38 sont en moyenne passées par jour sur Internet (p. 22), 47% des 15-24 ans se rendent au moins une fois par jour sur Tiktok, pour une durée moyenne de 1h28. 96% des jeunes de cet âge ont un smartphone. Plusieurs cas de suicides liés à des contenus sur la plateforme, ainsi que de nombreuses automutilations, ont alerté les députés. Tiktok est le réseau le plus utilisé par les jeunes (p. 71).
Le fonctionnement de Tiktok
L’entreprise a pour objectif le profit. Dans ce contexte, les utilisateurs fournissent des données, revendues à des publicitaires. Plus la plateforme obtient de données, plus elle vend (p. 50) : il s’agit d’une économie de l’attention, nécessitant de ses utilisateurs d’y passer le plus de temps possible. Le fonctionnement dans le détail de ce système reste très opaque, en raison surtout du manque de transparence de Tiktok (p. 57), mais l’ensemble est extrêmement lucratif. De ce fait, l’économie de Tiktok repose intégralement sur l’addiction de ses utilisateurs (p. 61), ce dont la firme a conscience : des rapports internes montrent qu’il suffit de 260 vidéos pour créer une habitude de consommation (p. 55).
Les conséquences de ce fonctionnement sur ce que voient les mineurs
De ce fait, Tiktok fonctionne selon une logique « pousse au trash », car les contenus les plus violents, les plus extrêmes, suscitant l’émotion négative, notamment la haine ou la colère, engendrent partages et visionnages (p. 54). Parmi ces contenus favorisés par les algorithmes, on en compte de très nombreux favorables au djihadisme, au racisme, à l’antisémitisme (pp. 70, 44, 46). L’analyse en temps réel de ce que regarde ou poste un utilisateur permet de renforcer l’enfermement algorithmique de ceux-ci (p. 69), nourri par la volonté clairement addictive de la firme (p. 65). En outre, la firme adopte un système apparenté à celui des casinos et jeux d’argent : celui de la récompense aléatoire (p. 71), qui encourage à la consommation (et donc aussi au visionnage de publicités).
Les conséquences sur la santé physique et mentale des mineurs
En termes de santé physique, l’usage de Tiktok, consciencieusement massifié par la firme, favorise la sédentarité, les accidents cardiovasculaires, l’obésité, le diabète de type II, la myopie (p. 86). En outre, cela altère la qualité du sommeil.
Du point de vue psychique, les réseaux, notamment Tiktok, permettent le cyberharcèlement. La santé mentale des lycéens s’est amoindrie entre 2018 et 2022 (p. 89), de telle sorte que le nombre de ceux prenant des antidépresseurs a augmenté de 60% de 2019 à 2023 (p. 90). Depuis 2010, il est avéré que les différents réseaux accroissent les fragilités psychiques existantes, voire en créent de nouvelles (pp. 95-99). La faculté de concentration et de mémorisation diminue également (p. 114-115), cependant que celle de supporter la frustration s’amoindrit (p. 115).
C’est bien des phénomènes de dépendance, d’addiction comportementale, que l’on observe (p. 106).
Enfin, les plus jeunes sont exposés à des discours de désinformation, notamment sur la santé, ainsi qu’à une extrême polarisation des positions, notamment politiques ou identitaires, associée à une désensibilisation par rapport à la violence (pp. 117-121).
Que fait Tiktok ?
La firme sait, des documents internes qui ont fuité le prouvent. Il en va de même pour les autres réseaux sociaux (p. 122-123). Elle se refuse cependant à coopérer, que ce soit avec l’Assemblée nationale (p. 57), avec les scientifiques qui souhaiteraient étudier les conséquences de moyen terme de la consommation de ce réseau (p. 85), ou avec la loi française et européenne (pp.132-134). De ce point de vue, Tiktok est même illégal, faute de régulation (p. 149), modère peu et mal (p. 166), ne contrôle pas l’âge malgré la loi de ses usagers (p. 132), et surtout protège extrêmement mal les données personnelles de ses utilisateurs, entre autres en les vendant au gouvernement chinois (p. 194).
Que fait la polis ?
Tout d’abord, le rapport souligne clairement que laisser les mineurs passer trop de temps devant les écrans en général est une négligence éducative (p. 271).
La commission à l’origine du rapport, outre ses espoirs dans une régulation européenne (p. 205-220), propose une série de pistes à l’échelle nationale et internationale pour empêcher les méfaits de Tiktok et des autres réseaux sur la santé des mineurs. Ainsi, il s’agirait de reconnaître la responsabilité de ces plateformes dans cette dégradation de la santé (p. 220). La commission propose également de renforcer la sensibilisation à ces questions de santé mentale (p. 229), notamment en informant les parents d’élèves (p. 239), puis en informant et formant les personnels de l’éducation (p. 243).
Cela nécessite, surtout, de reconnaître l’enjeu sanitaire que représentent les réseaux, Tiktok en tête, et les écrans en général, smartphones au premier rang (p. 245). La commission préconise carrément d’interdire l’usage des réseaux, voire celui des smartphones, avant 18 ans (p. 252, 268), car ceux-ci représentnt un danger pour la santé publique.
Il s’agit, enfin, d’imposer des horaires collectives à Tiktok, avec un couvre-feu numérique (pp. 260-261). Avant tout, la commission recommande d’interdire les portables et autres objets connectés dans les écoles, collèges et lycées, et d’engager l’Education nationale dans un processus de « décroissance digitale massive » (p. 265), avec une réduction drastique de l’usage de l’Environnement Numérique de Travail (ENT) et une réduction de l’usage pédagogique du numérique au strict nécessaire.
C’est donc en accord avec ces nouvelles informations, en avance sur elles, que le Lycée Henri Becquerel a fait le choix de l’interdiction totale des portables et autres objets connectés dans l’enceinte de l’établissement.
1- Le Monde, n° 25100, 12 septembre 2025, p. 10 : « Un rapport parlementaire accablant pour Tiktok ».